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Empêcher l'exil des enfants autistes de France: Le quotidien La Croix y revient (journal du 12 mai 2008)


C’est désormais une habitude bien ancrée. Tous les lundis, à 6 h 15 du matin, un taxi vient chercher à son domicile des Yvelines Marie, une fillette autiste âgée de 12 ans. Avec deux autres enfants à bord, il quitte ensuite la région parisienne, direction… la Belgique. Les trois enfants y passeront toute la semaine, avant de revenir chez eux en France le vendredi après-midi, pour le week-end. Toujours en taxi et aux frais de l’assurance-maladie.

Marie avait 4 ans quand elle a commencé à faire ces trajets hebdomadaires entre les Yvelines et la ville de Mons. « Au début, cela a été très dur. La première année, je pleurais tous les lundis en regardant le taxi s’éloigner », raconte sa mère, Karine Caudal. « Si nous avions senti qu’elle était malheureuse, nous aurions arrêté tout de suite, ajoute-t-elle. Mais Marie a toujours été contente d’aller là-bas. Elle y a trouvé un réel épanouissement. »

Jusqu’à 4 ans, Marie a pu être prise en charge par ses proches. « Mais quand nous avons voulu trouver un lieu d’accueil, on nous a dit que la liste d’attente était de deux ou trois ans. Nous nous sommes donc tournés vers la Belgique », explique Karine Caudal. Si elle reconnaît que sa fille « est très bien prise en charge » en Belgique, cette mère a du mal à accepter cette situation. « Je paie des impôts en France, et je trouve scandaleux qu’un pays comme le nôtre envoie ses enfants handicapés au-delà de ses frontières. »


Il faut remonter à la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat


On estime aujourd’hui qu’entre 3 500 et 5 000 personnes autistes ou handicapées mentales sont accueillies en Belgique grâce à un financement français, venant de l’assurance-maladie (pour les enfants) et des conseils généraux (pour les adultes). « Ces enfants et personnes adultes sont originaires du nord de la France, mais aussi de l’est, d’Île-de-France, de Touraine ou des Alpes », souligne, dans un avis rendu public en décembre, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE).

Pour comprendre cette situation, il faut remonter au début du XXe siècle, selon Jean-François Chossy. Ce député UMP de la Loire est l’auteur d’un rapport sur l’autisme en 2003, où il explique que nombre de congrégations religieuses françaises, ayant dû quitter le territoire national suite à la séparation de l’Église et de l’État, s’étaient alors établies à quelques encablures de la frontière française avec leurs œuvres sociales, médicales ou éducatives.

« Beaucoup s’installèrent dans la région wallonne pour une plus grande proximité. À partir du milieu du siècle, le déclin des vocations conduira, là comme ailleurs, à la fermeture d’un grand nombre de structures gérées par ces congrégations, ou à la reprise de leurs activités par des associations belges qui continuèrent dès lors à bénéficier des subsides français privés ou publics », analyse Jean-François Chossy dans ce rapport.


Etablissements médico-sociaux et écoles spécialisées


Aujourd’hui, ces enfants et adultes handicapés sont accueillis en Belgique dans deux types de structures : des établissements médico-sociaux et des écoles spécialisées. Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de septembre 2005, environ 3 600 enfants et adultes sont pris en charge dans des établissements médico-sociaux. Actuellement, 25 structures de ce type ont passé une convention avec l’assurance-maladie pour accueillir des enfants venant de France.

« La Sécurité sociale française nous verse un prix de journée par enfant, qui permet de payer les frais de personnel, d’alimentation, les frais pharmaceutiques et médicaux ainsi que le transport des enfants depuis leur domicile », explique Louis-Philippe Bourdon, directeur de l’Espéranderie, un établissement qui se trouve à Bon-Secours. Situé à 100 mètres de la frontière française, à 20 km de Valenciennes, il accueille 325 pensionnaires âgés de 4 à 20 ans, tous français, atteints d’autisme ou de handicaps mentaux lourds.

L’autre mode d’accueil est scolaire. Selon l’Igas, 1 400 enfants français sont pris en charge dans des écoles spécialisées belges. « Nous ne recevons aucun financement français. Nos enseignants sont payés par l’État belge », explique Sylvia Spitalieri, directrice de l’école de l’Arbre vert, située à Mons, qui accueille 150 enfants autistes ou atteints de handicaps mentaux, dont 60 Français. Dans ces écoles, la scolarité est gratuite, les parents payant seulement l’internat (environ 8 € par jour). Quant aux allers-retours en taxi avec la France, ils sont financés par l’assurance-maladie.


"Il manque 50 000 places"


Comment expliquer un tel « exil » vers la Belgique ? D’abord par l’insuffisance du nombre de places d’accueil en France. « On estime qu’il manque 50 000 places pour les enfants et adultes autistes », affirme Évelyne Friedel, présidente de l’association Autisme Europe. Mais le problème n’est pas uniquement quantitatif.

Nombre de parents font en effet preuve d’une grande défiance vis-à-vis des méthodes d’inspiration psychanalytique, encore largement utilisées en France. Ils préfèrent se tourner vers des approches « éducatives » largement développées en Belgique. « Notre fils a été placé sur une liste d’attente avec un délai d’au moins deux ans. Mais je dois dire que je n’aurais pas voulu l’envoyer dans bon nombre de structures françaises que j’ai visitées », reconnaît Élisabeth Mikolajczak, qui vit à Houdain (Pas-de-Calais).

Depuis la rentrée de septembre, son fils, Olivier, fait chaque jour l’aller-retour en véhicule sanitaire léger (VSL) avec la Belgique, distante de 55 km. « De 4 à 10 ans, notre fils a été pris en charge en France. Il n’y a pas été malheureux mais il y a fait très peu de progrès. C’était un peu comme un élevage en liberté », explique de son côté Claire de Chambure, dont le fils Géry, 15 ans, est accueilli en Belgique depuis cinq ans.

« Là-bas, il a trouvé un accueil chaleureux et épanouissant et il a fait d’indéniables progrès », ajoute cette mère qui vit à Versailles. Pour elle, la Belgique reste un choix par défaut. « Je préférerais évidemment trouver une structure identique en France, près de chez nous. »


"En Belgique, on trouve le meilleur, mais aussi le pire"


Si les méthodes belges séduisent les familles, les associations restent prudentes. « En Belgique, on trouve le meilleur, mais aussi le pire. La solution ne passe pas par un encouragement à cet exode, mais par la création d’un nombre suffisant de places adaptées en France », avertit Agnès Woimant, vice-présidente d’Autisme France.

En fait, les associations se trouvent dans une situation un peu délicate. Elles dénoncent certes cette situation « inacceptable », mais en même temps elles ne demandent pas aux pouvoirs publics d’y mettre un terme, tout au moins de manière immédiate : « Si la France cessait demain de financer les places en Belgique, sans créer de places équivalentes dans l’Hexagone, beaucoup de familles seraient dans une situation très difficile », souligne Évelyne Friedel.

À terme, la situation paraît toutefois difficilement tenable, selon le CCNE : « Cet "exil" ou "délocalisation" à vie des personnes atteintes de handicap, à l’extérieur de notre pays, même si elle a pu à un moment donné, en urgence, apparaître comme la moins mauvaise solution possible devant une pénurie dramatique de structures d’accueil en France, deviendrait, si elle se pérennise, profondément inquiétante », souligne le Comité dans son avis de décembre.

« Elle constituerait alors de la part de notre société, ajoute-t-il, un aveu et un message implicite d’une grande violence à l’égard de ses membres les plus vulnérables et de leurs proches. Ce message serait : la meilleure façon de permettre l’insertion sociale des enfants et des adultes atteints de syndromes autistiques, c’est de les envoyer dans d’autres pays d’Europe dans lesquels leur insertion est reconnue comme un droit. »


Pierre BIENVAULT
La Croix

Date de l'événement: 
Jeudi, Mai 22, 2008
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