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Un héritage familial et un savoir-faire préservé
Les machines à coudre résonnent sous les mains expertes des couturier·es. Ici, on assemble des jeans «Alphonse», l’un des modèles phares de la maison. Julien Tuffery, quatrième génération, reprend l’entreprise avec son épouse Myriam en 2016, lorsque la manufacture était à bout de souffle. *«À l’époque, mon père et mes oncles étaient vus comme des marginaux cévenols»*, se souvient-il. Aujourd’hui, ils veulent faire perdurer le savoir-faire local et l’ancrage territorial tout en intégrant des pratiques éthiques et écologiques.
La fast fashion a ses limites
L’industrie textile reste l’une des plus polluantes au monde, avec quatre milliards de tonnes de CO2 équivalent émises chaque année. Shein, emblème de l’ultra-fast fashion, vient d’ouvrir sa première boutique physique à Paris. Julien Tuffery explique : *« Avec la mondialisation, le système a perdu la tête. On prépare les commandes un an à l’avance et on finance donc des invendus. Il faut informer les consommateurs sur l’impact écologique du textile et leur part de responsabilité »*. Pour lui, un t-shirt à 1,50 euro n’est tout simplement pas viable.
Une production raisonnée et responsable
À l’Atelier Tuffery, la surproduction et le gaspillage sont bannis. Inspiré de ses aïeux, Julien Tuffery rappelle : *« À ses débuts, la manufacture faisait preuve d’une rationalité parfaite, avec zéro gaspillage, puisque la fabrication se faisait selon les besoins des ouvriers »*. Le jean, robuste et teint à l’indigo naturel, était alors conçu pour durer. Aujourd’hui, les collections sont limitées, 85% des ventes reposent sur des basiques et un atelier de réparation permet de prolonger la vie des vêtements.
Un impact environnemental maîtrisé
Le jean «Alphonse Flex» a été évalué par La Belle Empreinte : 3,6 kilos de CO2 équivalent, contre 32 kilos pour un jean classique. Son éco-score atteint 1 021 points, contre 7 100 pour un produit équivalent vendu en France. Delphine Droz, fondatrice de La Belle Empreinte, considère l’atelier comme *« pionnier dans la modélisation de l’impact écologique et exigeant à chaque étape du processus »*. Les tissus proviennent de fabricants français et européens, souvent à quelques centaines de kilomètres de Florac.
Vers des matières plus durables
Bien que le coton reste incontournable, l’entreprise diversifie ses matières : chanvre, lin, laine locale. Julien Tuffery précise : *« Aujourd’hui, 25% de nos vêtements sont faits avec des alternatives au coton »*. La laine de brebis Lacaune des Cévennes est utilisée depuis dix ans, et depuis 2024, la manufacture développe son propre cheptel de brebis mérinos, contribuant à la fertilisation des sols et à la préservation des traditions pastorales.
Un modèle économique écoresponsable
La notion de « juste prix » est centrale : un jean coûte entre 139 et 290 euros. Pour Julien Tuffery, *« un jean vendu 100 euros hors taxes coûte 75 euros à produire. C’est le poids de l’engagement, cela demande du courage »*. L’entreprise mise sur la durabilité physique et émotionnelle des vêtements, encourageant un lien durable entre le consommateur et le produit.
Un lieu pensé pour l’écologie et le bien-être
La manufacture elle-même reflète cette éthique : isolation faite à partir de vieux jeans déchiquetés, bois et pierre locaux, postes de travail alternés pour éviter la monotonie et favoriser le bien-être des salarié·es. Julien Tuffery reconnaît le paradoxe : *« On fabrique au fin fond des Cévennes le vêtement le plus mondialisé. C’est totalement irrationnel si le but est de gagner de l’argent rapidement »*. Mais cette stratégie sur le made in France et l’écologie porte ses fruits : croissance de 20% et chiffre d’affaires de 5,5 millions d’euros.
Entre tradition et modernité, l’Atelier Tuffery montre qu’il est possible de produire des vêtements de qualité, durables et respectueux de l’environnement, tout en restant compétitif. Une belle leçon pour les consommateurs et les entreprises qui souhaitent conjuguer mode et responsabilité.

