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Un salarié licencié après avoir caché son mariage a obtenu une victoire majeure devant la Cour de cassation. Cette décision rappelle que le respect de la vie privée des salariés prime sur les prétendus manquements à la loyauté. Retour sur une affaire qui pourrait changer la manière dont les employeurs encadrent la vie personnelle de leurs collaborateurs.
Un licenciement inattendu pour un motif surprenant
Le 1er juin 2010, un contrôleur de gestion junior rejoint la prestigieuse maison Chanel. Ses missions sont accomplies sans encombre pendant plusieurs années. Pourtant, le 13 novembre 2018, il reçoit une convocation à un entretien préalable au licenciement, assortie d’une mise à pied conservatoire. Un mois plus tard, le 18 décembre 2018, il est officiellement licencié pour une cause réelle et sérieuse.
Le motif avancé par Chanel ? Le salarié aurait dissimulé son mariage avec une ancienne employée de l’entreprise, elle-même licenciée quelques années plus tôt. Selon l’entreprise, ce silence pourrait créer un conflit d’intérêts et constituer un manquement à la loyauté.
La bataille judiciaire pour protéger la vie privée
Le salarié conteste immédiatement la décision et saisit les prud’hommes, invoquant le respect de sa vie privée. La Cour d’Appel de Versailles, dans un arrêt du 30 mai 2024, rejette sa demande. Les juges considèrent qu’il a fourni des informations inexactes et rappellent un passage de son contrat lui imposant de tenir son employeur informé de sa situation familiale.
Refusant de céder, le salarié porte l’affaire devant la Cour de cassation le 10 décembre 2025. Il s’appuie sur le Code civil, le Code du travail et la Convention Européenne des Droits de l’Homme pour défendre son droit à la vie privée. La Haute Juridiction donne raison au salarié et casse l’arrêt de la Cour d’Appel, considérant que son droit à la vie privée n’a pas été respecté. L’affaire retourne désormais devant Versailles pour réexamen du licenciement.
Un principe clair posé par la Cour de cassation
« Le silence du salarié sur sa vie personnelle ne constitue donc pas en soi un manquement à l’obligation de loyauté, quand bien même ce silence s’accompagnerait de déclarations inexactes, tant que l’information dissimulée reste sans incidence sur l’exercice des fonctions », explique Xavier Berjot, avocat en droit du travail au Barreau de Paris.
La Cour de cassation précise que l’employeur ne peut pas exiger, sans violer la vie privée, que ses salariés communiquent des informations sur leur situation familiale. Cette décision fixe une limite importante aux entreprises.
Pas de conflit d’intérêts sans preuves concrètes
Chanel avançait également un risque de conflit d’intérêts, arguant que le mariage du salarié avec une ancienne employée pourrait nuire à l’exercice de ses missions sensibles. La Cour de cassation rappelle que :
- Il faut démontrer un lien concret et objectif entre la vie personnelle et les fonctions exercées ;
- Le simple fait d’avoir accès à des données sensibles ne suffit pas à prouver un risque ;
- Les juges doivent évaluer l’impact réel de la situation sur le travail du salarié.
Dans cette affaire, aucun élément ne prouve que l’union matrimoniale ait pu affecter les missions du contrôleur de gestion.
Des enjeux financiers conséquents pour le salarié
Si la Cour d’Appel requalifie ce licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse, le salarié pourra demander :
- Sa réintégration avec le paiement de tous ses salaires depuis l’éviction ;
- Ou une indemnité représentant au minimum 6 mois de salaire.
« La cour d’appel avait fixé le salaire de référence à 8 090,21 euros et le salarié sollicitait initialement une indemnité de 200 000 euros », précise Xavier Berjot. Cette victoire potentielle pourrait marquer un précédent dans la protection des salariés face à des motifs de licenciement liés à la vie privée.
Cette affaire souligne l’importance de séparer la vie personnelle et les obligations professionnelles, rappelant aux employeurs que le droit à la vie privée est une liberté fondamentale qui ne peut être ignorée sans conséquence juridique.

