Afficher les titres Masquer les titres
On les appelle « intelligents », et pourtant, leur présence inquiète de plus en plus. Les compteurs Linky, déployés dans presque tous les foyers français, devaient simplifier la vie des usagers. Relevés à distance, ajustement de puissance sans rendez-vous… en théorie, tout est plus fluide. Mais derrière cette façade pratique, un phénomène discret progresse à grande vitesse. Et selon un rapport officiel, il touche un nombre croissant de ménages en situation précaire.
Une pratique en forte hausse chez les fournisseurs d’énergie
Chaque année, le médiateur national de l’énergie dresse un bilan des relations entre consommateurs et acteurs du secteur. Ce service public indépendant joue un rôle de médiateur en cas de conflit, mais surtout, il observe les tendances. Et celles de l’année passée sont loin d’être rassurantes.
Le rapport dévoile une explosion des interventions pour impayés. En 2024, plus de 1,2 million de procédures ont été engagées par les fournisseurs auprès d’Enedis. Cela représente une hausse de 24 % par rapport à l’année précédente. Ce chiffre révèle un malaise grandissant dans les foyers, déjà fragilisés par l’envolée des prix de l’énergie en 2022 et 2023.
Des coupures ou une baisse de puissance ?
Quand un client ne paie pas sa facture, deux options s’offrent aux fournisseurs :
• demander une coupure totale d’électricité ;
• ordonner une réduction de puissance, moins visible, mais tout aussi pénalisante.
Les coupures franches ont augmenté de 16 % en un an, avec 309 000 foyers concernés. Mais ce sont surtout les baisses de puissance qui explosent : +25 % en 2024. Près de 937 000 ménages ont subi une limitation de leur consommation, à distance, par simple commande envoyée à leur compteur Linky. Résultat : des foyers se retrouvent avec une puissance tellement réduite qu’ils ne peuvent plus faire fonctionner leur chauffage, ni utiliser plusieurs appareils en même temps.
Linky, un outil qui facilite les coupures ciblées
Selon le rapport du médiateur, la généralisation des compteurs Linky a changé la donne. *Avec leur installation dans presque tous les logements, les fournisseurs peuvent désormais limiter la puissance à distance, sans déplacement ni avertissement physique*. Une évolution rendue possible par la technologie, mais qui soulève de vraies questions sur l’équilibre entre automatisation et justice sociale.
Certes, la loi protège certains foyers : pendant la trêve hivernale, les bénéficiaires du chèque énergie ou d’une aide au logement ne peuvent subir de réduction de puissance. Mais en dehors de cette période, les fournisseurs disposent d’une liberté d’action totale.
Des fournisseurs plus prompts à agir
Ce changement d’outil a aussi changé les habitudes des acteurs du secteur. Le médiateur note une tendance claire : les fournisseurs recourent désormais davantage aux baisses de puissance qu’aux coupures nettes. Un choix stratégique, car la réduction est moins visible publiquement, mais tout aussi contraignante pour le consommateur. Et surtout, elle est techniquement plus facile à mettre en œuvre avec Linky.
Ce glissement vers une gestion plus automatisée et moins humaine peut aggraver le sentiment d’abandon ressenti par certaines familles en difficulté. Elles ne voient pas venir la sanction, et se retrouvent soudain limitées dans leur quotidien, sans contact direct ni échange préalable avec leur fournisseur.
Quand la technologie dépasse l’humain
Le compteur Linky, censé moderniser le réseau, devient ainsi un outil de pression pour les ménages en retard de paiement. Plus besoin d’envoyer un technicien ou de prévenir longtemps à l’avance : une simple commande suffit. Cela simplifie les démarches côté fournisseurs, mais cela crée un stress supplémentaire pour les familles déjà fragiles.
Et si ce système a permis de faire des économies de gestion pour les entreprises du secteur, il a aussi ouvert la voie à des pratiques plus brutales. Moins visibles, mais plus fréquentes.
Ce rapport du médiateur tire donc la sonnette d’alarme. Car derrière chaque baisse de puissance, il y a une famille, une personne âgée, ou un parent isolé qui doit faire des choix : chauffer une pièce ou cuisiner un repas ?
À l’heure où la précarité énergétique touche de plus en plus de Français, cette nouvelle manière de couper l’électricité à distance pourrait bien devenir l’un des symptômes les plus préoccupants de notre société connectée.