C’est confirmé : France Travail pourrait bientôt surveiller votre activité en ligne pour vérifier votre recherche d’emploi

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Un nouveau projet de loi agite le Sénat et relance le débat sur la surveillance des demandeurs d’emploi. Le texte prévoit de donner à France Travail des pouvoirs élargis pour contrôler non seulement la situation des chômeurs, mais aussi leur activité en ligne et certains de leurs relevés téléphoniques. Officiellement, il s’agit de renforcer la lutte contre la fraude sociale. Officieusement, beaucoup y voient un tournant inquiétant pour la vie privée.

France Travail, au cœur d’un dispositif de contrôle déjà renforcé

Depuis sa création, France Travail dispose déjà d’un large accès à de nombreuses données personnelles sur les inscrits : identité, parcours professionnel, indemnisation, échanges avec les conseillers, informations sur la situation familiale ou géographique. Toutes ces données sont censées vérifier que les demandeurs d’emploi sont réellement en recherche active et ne profitent pas indûment des aides financées par l’État.

Mais le gouvernement veut désormais passer la vitesse supérieure. Depuis le 13 novembre, un texte de loi est examiné au Sénat. Il prévoit de donner à France Travail des moyens de vérification plus intrusifs pour repérer ceux qui mentiraient sur leur résidence, leur situation ou leur implication dans la recherche d’emploi. C’est l’article 28, au cœur de ce projet, qui suscite le plus de réactions et concentre les critiques.

Article 28 : des outils d’enquête dignes d’un service de renseignement

Cet article 28 entend offrir de nouveaux moyens d’enquête à France Travail. L’idée est simple sur le papier : s’assurer que les personnes bénéficiant des allocations vivent bien en France et respectent leurs obligations. Pour cela, l’organisme pourrait avoir accès à des informations auxquelles il n’avait pas directement accès jusqu’ici, ce qui change profondément l’ampleur du contrôle.

Le texte prévoit par exemple de consulter certains relevés téléphoniques. Il ne s’agit pas d’écouter les conversations, mais d’examiner les données de connexion, les usages, ou encore la localisation potentielle des titulaires. De même, les registres de compagnies aériennes pourraient être utilisés pour vérifier si le nom d’un allocataire apparaît régulièrement sur des vols internationaux, laissant supposer une présence fréquente à l’étranger.

Dans la logique du gouvernement, ces outils viseraient les personnes qui continueraient de percevoir des allocations chômage tout en vivant essentiellement hors de France. Mais l’article ne s’arrête pas là. Il ouvre aussi la porte à une exploitation des traces laissées sur Internet, ce qui inquiète particulièrement défenseurs des droits et associations.

Vers une surveillance de la navigation Internet des chômeurs ?

Le projet de loi évoque clairement l’utilisation des données de connexion comme levier de contrôle. Concrètement, cela recouvre l’adresse IP des demandeurs d’emploi, mais aussi, potentiellement, certains sites consultés, avec la date et l’heure des visites. Autrement dit, une partie de la navigation sur le web pourrait être analysée pour vérifier la cohérence de la situation déclarée.

On peut facilement imaginer un cas de figure : un allocataire passe beaucoup de temps sur des sites de voyages, de location de logements à l’étranger ou de billets d’avion. Ces informations, croisées avec d’autres données, pourraient conduire France Travail à suspecter une installation hors du territoire. L’organisme pourrait alors considérer qu’il existe un risque de fraude sociale et décider de suspendre, voire de couper purement et simplement les indemnités.

Pour les autorités, ce type de dispositif permettrait de mieux cibler les abus, dans un contexte où chaque euro d’argent public dépensé est scruté. Mais pour une grande partie de l’opinion, cette surveillance numérique ressemble davantage à un pas de plus vers une société du soupçon permanent, où chaque clic devient potentiellement une preuve à charge.

Une bronca au Sénat et une question de justice sociale

Sans surprise, l’article 28 est loin de faire consensus au Sénat. Les élus de gauche, notamment, dénoncent un texte qu’ils jugent autoritaire et déséquilibré. Selon eux, l’argument de la lutte contre la fraude sert surtout à renforcer la pression sur les personnes les plus fragiles, déjà confrontées à la précarité, au stress de la recherche d’un emploi et aux contrôles réguliers. Pour ces élus, on glisse dangereusement vers une vision du chômeur présumé coupable.

Plusieurs voix pointent un double standard. Elles rappellent que la fraude fiscale serait presque dix fois plus importante que la fraude sociale, en montants en jeu. Pourtant, les outils de contrôle semblent se durcir davantage sur les demandeurs d’emploi que sur les montages financiers complexes. “On serre la vis sur ceux qui touchent quelques centaines d’euros, mais on reste beaucoup plus discret sur ceux qui dissimulent des millions”, résument certains opposants.

Ce décalage alimente un sentiment d’injustice et renforce l’idée que les chômeurs sont devenus une cible politique facile. Pour beaucoup, la priorité devrait être d’améliorer l’accompagnement vers l’emploi, plutôt que de multiplier les moyens de surveillance et les menaces de sanctions.

Libertés individuelles : une ligne rouge est-elle en train d’être franchie ?

Au-delà des clivages partisans, ce débat pose une question de fond : jusqu’où l’État peut-il aller pour vérifier l’usage des allocations chômage sans porter atteinte aux libertés individuelles ? L’idée que France Travail puisse exploiter des données de connexion ou des informations issues des compagnies aériennes fait craindre une normalisation de la surveillance numérique, surtout pour les publics les plus vulnérables.

Les partisans du texte avancent que ces outils ne seraient utilisés que dans des cas ciblés, avec des garde-fous juridiques et des conditions strictes. Ils estiment qu’une meilleure détection de la fraude est indispensable pour préserver la confiance dans le système et éviter que quelques abus ne servent de prétexte à démanteler la protection sociale. Mais les opposants redoutent, eux, un glissement progressif : ce qui commence comme une mesure exceptionnelle pourrait devenir une norme.

Dans un monde où la majorité de nos actions laisse une trace numérique, la façon dont les pouvoirs publics utilisent ces données devient un enjeu majeur. Ce projet de loi le montre clairement : derrière la lutte contre la fraude, se joue aussi notre rapport au contrôle, à la vie privée et à la confiance entre l’État et les citoyens. Pour les demandeurs d’emploi, l’enjeu n’est pas seulement financier : c’est toute leur intimité numérique qui pourrait être scrutée, interprétée, voire suspectée.


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