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- Coup de théâtre : vos trajets domicile-travail deviennent rémunérés
- Qui est concerné ? Une victoire pour les salariés mobiles
- Quel impact financier ? Jusqu’à plusieurs centaines d’euros par mois
- Obligations des employeurs : attention aux risques juridiques
- Inégalités persistantes : tous les salariés ne profitent pas de la décision
- Comment agir dès maintenant : repères pratiques
- Une redéfinition du “temps utile” au travail français
Chaque jour, des milliers de salariés passent des heures sur la route sans aucune compensation. Mais un arrêt récent de la Cour de cassation pourrait changer la donne pour certaines professions itinérantes. Reconnaissant que ces trajets font partie intégrante du travail, la justice ouvre la voie à une rémunération jusque-là ignorée.
Coup de théâtre : vos trajets domicile-travail deviennent rémunérés
Le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a tranché : pour certaines professions, le trajet entre domicile et lieu de mission constitue désormais du temps de travail effectif. Une décision majeure qui redéfinit la frontière entre vie privée et obligations professionnelles et qui pourrait transformer le quotidien de nombreux salariés, notamment dans les secteurs de l’éducation spécialisée, du soin à domicile et du bâtiment.
Cette décision cible principalement les salariés itinérants, dont la journée commence dès le départ pour un client ou un site. La Cour considère que ce temps n’est pas un simple confort personnel mais une contrainte imposée par l’employeur. En conséquence, il doit être rémunéré au même titre que les heures passées sur place.
Elle se fonde sur l’article L3121-1 du Code du travail et la directive européenne 2003/88/CE, après une série de recours menés par des techniciens d’intervention, aides à domicile ou enseignants itinérants. Jusqu’ici, seules les heures excédant le trajet habituel donnaient lieu à compensation. L’arrêt inverse ce principe pour certains métiers.
Qui est concerné ? Une victoire pour les salariés mobiles
Les bénéficiaires ne sont pas les salariés de bureau, mais ceux dont la mobilité structure leur activité :
- Les techniciens de maintenance et installateurs chez les clients ;
- Les auxiliaires de vie et soignants à domicile ;
- Les formateurs et conseillers pédagogiques itinérants ;
- Les commerciaux sans point fixe ;
- Certaines fonctions publiques territoriales en déplacement constant.
L’Assurance maladie, des syndicats comme CFDT Santé-Sociaux et CGT Services publics ainsi que le ministère du Travail suivent de près la mise en œuvre de ces droits. Pour ces professions, souvent soumises à de longues amplitudes horaires, cette reconnaissance change profondément l’équilibre économique de leur poste.
Quel impact financier ? Jusqu’à plusieurs centaines d’euros par mois
Selon des simulations d’un cabinet social indépendant, un salarié effectuant deux heures quotidiennes de trajet professionnel pourrait toucher entre 250 et 400 euros supplémentaires par mois selon son taux horaire brut. Pour les employeurs multisites ou les associations d’aide à domicile, l’impact budgétaire peut atteindre +8 % sur la masse salariale annuelle.
Quelques exemples :
- Aide à domicile ; temps moyen quotidien : 1 h 45 ; rémunération potentielle : +320 € ;
- BTP itinérant ; temps moyen quotidien : 1 h 20 ; rémunération potentielle : +270 € ;
- Télémaintenance / services techniques ; temps moyen quotidien : 2 h 00 ; rémunération potentielle : +390 € ;
- Pédagogie itinérante / éducatif spécialisé ; temps moyen quotidien : 1 h 30 ; rémunération potentielle : +280 € ;
Obligations des employeurs : attention aux risques juridiques
Les entreprises concernées doivent désormais revoir leurs pratiques : fichage précis des horaires, ajustement des logiciels RH, respect du droit européen. Le refus d’appliquer la règle pourrait entraîner des rappels salariaux rétroactifs sur trois ans.
Les fédérations patronales (UIMM, MEDEF) alertent sur « une complexité administrative accrue » et appellent à clarifier la situation via accords collectifs sectoriels.
Inégalités persistantes : tous les salariés ne profitent pas de la décision
Cette victoire bénéficie surtout aux professionnels mobiles, mais certains restent dans une zone grise : enseignants multisites, assistants familiaux ou agents territoriaux partagés entre communes. Quand le téléphone professionnel sonne avant même le départ, où commence réellement la journée ? L’arrêt pousse à repenser la notion de temps utile plutôt que de lieu fixe.
Comment agir dès maintenant : repères pratiques
Dès publication au Bulletin civil, la décision est opposable. Les salariés peuvent s’en prévaloir pour une réclamation ou devant le conseil des prud’hommes. Les conseils juridiques :
- Conserver tous justificatifs horaires (GPS professionnel, planning daté) ;
- Identifier si l’ordre ou le point de départ est imposé par l’employeur ;
- Établir un relevé mensuel signé mentionnant trajets et durées ;
- Évaluer avec un représentant du personnel la possibilité d’une renégociation collective.
Des notes techniques seront prochainement publiées pour harmoniser l’application selon les conventions collectives. Certaines branches comme l’aide à domicile (BAD) ou les services techniques (Syntec) ont déjà engagé des discussions sur la refonte du calcul horaire total hebdomadaire.
Une redéfinition du “temps utile” au travail français
Cette affaire dépasse le simple aspect salarial : elle questionne notre rapport au temps professionnel réel. Avec 25 % des actifs passant plus d’une heure quotidienne en transport selon l’Insee 2023, reconnaître ces moments comme productifs redessine le contrat social entre travailleurs mobiles et institutions.
Au-delà de la jurisprudence, c’est peut-être un changement culturel qui se profile : chaque minute passée sous contrainte professionnelle, qu’elle soit routière ou numérique, retrouve sa pleine valeur.

