Génération sans maison : acheter un bien immobilier devient mission impossible en Suisse

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Le rêve de devenir propriétaire s’éloigne un peu plus chaque année pour les jeunes en Suisse. Malgré des efforts parfois surhumains, beaucoup se heurtent à une réalité implacable : le marché immobilier helvétique est devenu presque inaccessible. Entre flambée des prix, pénurie de biens et concurrence féroce, la génération montante doit revoir ses ambitions à la baisse.

Quand même 1,7 million ne suffit pas

Dans une ville moyenne, un jeune couple pensait avoir fait une offre généreuse pour une maison mitoyenne centenaire. Bien que la banque ait estimé le bien à 1,49 million de francs suisses, ils ont proposé 1,7 million. Réponse du vendeur ? « Ce n’est même pas proche d’être suffisant. » Le bien a finalement été cédé à un autre acheteur, plus agressif.

Ce type de déception est devenu banal. Le marché immobilier suisse est sous tension constante : pénurie de terrains, taux d’intérêt longtemps bas et afflux de travailleurs étrangers ont gonflé la demande, poussant les prix vers des sommets.

Des hausses spectaculaires depuis la pandémie

Depuis 2017, les prix de l’immobilier ont bondi de 30 % en moyenne. Après la crise du Covid, la montée a été fulgurante, même dans les régions rurales. Selon Ursina Kubli, experte chez Zürcher Kantonalbank (ZKB), « la marée montante a fait grimper tous les bateaux, même les plus éloignés des côtes ».

Dans le canton de Zurich, ZKB prévoit une hausse de 4,5 % cette année… et encore 4,5 % l’année suivante. En deux ans, une maison familiale moyenne pourrait coûter 140 000 francs de plus. Pour les revenus modestes, la course est perdue d’avance.

Une classe moyenne laissée sur le carreau

En 2024, seuls 9 % des couples de 30 à 40 ans peuvent se permettre d’acheter une maison dans le canton de Zurich. Ils étaient encore 13 % cinq ans plus tôt. Le rêve d’accession à la propriété s’efface peu à peu pour la classe moyenne.

À l’échelle nationale, le taux de propriétaires n’est que de 36 %. Ce chiffre recule lentement mais sûrement. L’analyse du cabinet Wüest Partner est sans appel : 58 % des ménages à deux revenus ne peuvent pas acheter un appartement, et 79 % n’ont pas les moyens pour une maison.

Les hauts revenus seuls survivants du système

Le marché ne laisse sa chance qu’aux plus aisés. Selon Robert Weinert de Wüest Partner, « les inégalités de revenus et de patrimoine sont telles que quelques privilégiés ont encore les moyens… et font grimper les prix ». Le phénomène est particulièrement visible en centre-ville, où les maisons individuelles laissent place aux immeubles.

Claudio Saputelli, analyste chez UBS, nuance cependant : « Si l’on observe uniquement les acheteurs potentiels, le tableau semble moins dramatique, car les hauts revenus ont suivi le rythme. » En d’autres termes, le marché tourne autour des plus fortunés.

Une colère qui gronde dans la population

Sur les réseaux sociaux, la frustration est palpable. Sur Reddit, on peut lire ce genre de message désabusé : « À Zurich ? Laisse tomber… Ce n’est pas que les prix sont trop hauts, c’est que ton argent ne vaut plus rien. »

Même les gros salaires ne suffisent plus : un récent article du Tages-Anzeiger titrait « Même avec 200 000 francs, il est devenu impossible d’acheter. » Un constat partagé dans d’autres pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, où la crise du logement est déjà bien ancrée.

Des clivages qui s’aggravent

L’économiste Christian Hilber évoque une fracture sociale : « La crise divise profondément la société ». En Suisse, cette crise est arrivée plus tard qu’ailleurs, mais la courbe est désormais bien engagée. Depuis 1970, les prix ont grimpé de 106 %, contre plus de 400 % au Royaume-Uni.

La Suisse a longtemps profité de règles d’aménagement souples, mais depuis les années 2010, la situation s’est durcie. Résultat : moins de constructions, plus de tensions, et des prix qui explosent.

L’accession à la propriété devient héréditaire

Outre-Atlantique, seuls les enfants de familles aisées peuvent espérer acheter un jour. Le schéma commence à se répéter en Suisse. Pourtant, ici, être propriétaire n’a jamais été aussi important qu’ailleurs, grâce à un bon système de retraite et de santé. Résultat : seuls 33 % des Suisses sont propriétaires, contre plus de 65 % aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Des stratégies à revoir

Pour les familles suisses, il faut désormais faire preuve d’imagination :

  • élargir son périmètre de recherche ;
  • se contenter d’un bien plus modeste que prévu ;
  • ou compter sur un héritage familial.

Près de la moitié des logements sont transmis au sein de la même famille. Une stratégie typique en Suisse, mais loin d’être accessible à tous.

Une concurrence féroce avec les investisseurs

Avec des taux d’intérêt bas et des marchés financiers incertains, l’immobilier est devenu un placement très prisé. Les baby-boomers fortunés achètent pour louer, mettant en difficulté les jeunes familles qui cherchent à acheter pour vivre.

Et la situation n’est pas prête de s’arranger. La pénurie s’aggrave, les logements vacants se font rares, et la démographie continue d’évoluer. Tous les experts s’accordent : aucune baisse des prix ne semble à l’horizon.

La seule issue possible selon Saputelli d’UBS ? Une longue récession. Mais personne ne souhaite en arriver là.

Une marche de plus en plus haute

Pour de nombreux jeunes Suisses, l’escalier vers la propriété ressemble de plus en plus à un mur. Face à un système qui favorise les plus riches et ignore les classes moyennes, il devient urgent de repenser notre rapport au logement. Sans cela, une génération entière risque d’être condamnée à rester locataire à vie.


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